Six questions adressées à Jeff Horvath (2012)
Directeur, école secondaire Tsuut’ina
Quel est votre rôle actuel dans le système d’éducation ?
Je suis le directeur de l’école secondaire Tsuut’ina de la Première Nation Tsuu’tina, près de Calgary, en Alberta.
Pourquoi avez-vous décidé de faire carrière dans le domaine de l’éducation ?
Quand j’étais jeune, je voulais aider les gens, plus particulièrement les Autochtones. Je me suis rendu compte que je nouais facilement des relations. L’éducation me semblait un domaine où je pourrais réaliser ma passion et user de mes forces. Ma mère était aussi une enseignante qui avait étudié à l’école résidentielle St. Mary’s à Kenora, en Ontario. Elle a quitté cet établissement après trois années de sévices et d’abus. Pendant mon enfance, elle travaillait en entretien ménager, une activité qu’elle avait apprise à l’école. Quand j’étais en septième année, elle est retournée aux études. Elle a terminé son secondaire en quatre trimestres, puis est allée à l’Université de Calgary afin de compléter un diplôme en littérature anglaise et un autre en éducation.
Son parcours m’a inspiré et montré que l’éducation pouvait aider les membres des Premières Nations à guérir et atteindre une « belle vie ». Cette belle vie est différente pour chacun, mais elle représente le bien-être pour tous les individus et toutes les familles dans nos communautés. Tous les Canadiens devraient apprendre ce que sont les traités et le passé des écoles résidentielles. Une réelle réconciliation ne peut se produire que si tous comprennent que nous sommes tous liés à des traités et qu’ils soient familier avec l’historique de notre nation.
Quelles qualités de leader faut-il pour diriger une école consacrée aux enfants issues des Premières Nations ?
En tant que leader, je dois surtout établir des relations saines et fiables avec les élèves et leurs familles. L’histoire des pensionnats a rendu plusieurs familles méfiantes envers les établissements d’enseignement. La plupart de nos écoles sont bien différentes des pensionnats de l’époque, mais le doute persiste. L’expérience du pensionnat était destinée à « tuer l’Indien dans l’enfant », mais elle a en fait « tué l’enfant dans l’Indien », et nous écopons depuis des conséquences qui en ont découlé. Je le vois chaque jour lorsque les enfants descendent de l’autobus. Mais malgré ce que rapportent les médias, les peuples autochtones connaissent actuellement une véritable renaissance. Un grand nombre d’entre nous ont guéri ou n’ont pas vécu ces traumatismes (bien que je n’en ai pas rencontré beaucoup qui n’en ont pas vécu) et vivent maintenant une « belle vie ». Nous espérons voir la fin du cercle vicieux avec nos enfants porteurs d’avenir maintenant que nous en comprenons mieux la source. Tout le monde a un rôle à jouer dans la réconciliation.
D’après vous, les enfants qui fréquentent votre école croient-ils qu’ils peuvent réaliser leurs rêves comme tous les autres enfants Canadiens ?
Cette question est très importante, parce qu’en tant qu’éducateur, je veux qu’ils croient que leurs chances sont égales. Mais quand on considère l’histoire, les statistiques, le sous-financement et les conditions sociales que beaucoup de nos jeunes font face, j’ai du mal à le croire moi-même. De plus, nous savons que bon nombre de nos jeunes vivent dans la pauvreté et qu’il existe un « racisme institutionnalisé », ce qui constitue un défi pour l’avenir. Il est difficile d’imaginer qu’il y a de l’espoir pour nos jeunes dans une société où l’on est trop souvent jugé sur des bases raciales, les présomptions du Canadien moyen concernant les droits, l’histoire et l’expérience des Autochtones. Il reste du chemin à faire, du moins pour bon nombre d’entre nous.
Votre participation à la Conférence sur le leadership vous a-t-elle apporté des outils ou des perspectives qui ont contribué à l’avancement de votre carrière ?
La Conférence m’a donné l’envie de relever ce défi. Pour un leader autochtone, le rôle de directeur d’une école autochtone est important d’un point de vue historique. Je suis honoré du fait que notre communauté me confie l’éducation de ces jeunes. Nous savons que leur éducation est un élément fondamental de leur vie et de leur cheminement. La Conférence m’a exposé à des leaders qui sont aussi à un moment important de leurs carrières. Nos conversations, notamment sur nos expériences respectives, m’ont beaucoup éclairé. Les leçons de vie que nous avons reçues des gens que nous avons rencontré tout au long de notre voyage d’étude continuent de m’inspirer tous les jours. Cette expérience très enrichissante bénéficiera ma carrière et ma vie à jamais.
De quelle manière la Conférence et ses anciens peuvent-ils faciliter le processus de réconciliation entre les membres des Premières Nations et la culture populaire ?
Développer les connaissances et une base commune aideront avec la réconciliation. Pour comprendre la complexité de l’histoire des relations entre les Canadiens autochtones et non autochtones, il faut avancer. La Conférence ouvre, pour des gens qui doivent souvent prendre des décisions au sein de leurs organisations, une nouvelle fenêtre sur le sujet. En s’assurant que plus de leaders Autochtones prennent part à la Conférence, soit près de 50 en 2017, nous faisons un grand pas en avant. Le dialogue et le partage sont des composantes essentielles à la réconciliation, et la Conférence constitue une plateforme importante pour ce genre d’expérience et processus d’apprentissage.
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